L’oeuvre de Christian Oster à l’étude

Les romans de Christian Oster présentent des personnages à la fois drôles et imprévisibles qui, sans cesse, se déplacent et dérivent. Le 23 septembre prochain, Andre Bellatorre et Sylviane Saugues nous proposeront une lecture tout à fait prometteuse de cette oeuvre contemporaine :

« L’œuvre de Christian Oster occupe une place singulière dans le paysage du roman contemporain. Nous nous sommes essayés ici à rendre compte du caractère inattendu de cette entreprise romanesque. L’écriture d’Oster possède quelque chose de « déplacé » au sens où elle privilégie le déplacement sous toutes ses formes et invite le lecteur hors des sentiers battus. La fiction ostérienne explore, il est vrai, des territoires géographiques peu exotiques mais se caractérise par une étonnante et souvent hilarante étrangeté. Le romancier y met certains aspects majeurs de notre époque paradoxalement à distance par une approche microscopique des choses, un sens minutieux du détail. Son œuvre aventureuse tente le pari risqué d’un narrateur récurrent, toujours le même et tout à fait autre, qui témoigne, dans ses égarements mélancoliques et burlesques, de la difficulté d’être. Cette suite romanesque placée sous le signe de la surprise donne à voir, dans tous ses états, une écriture de l’imprévu tour à tour excentrique, précieuse et humoristique, qui ré-enchante le roman contemporain.»

Andre Bellatorre et Sylviane Saugues , L’aventure narrative. Lecture à deux voix des romans de Christian Oster, Paris, Hermann, 2013.

Le personnage indifférent à la sauce François Blais ou comment envoyer promener Camus

« D’Érostrate aussi on pouvait dire qu’il n’était parmi nous que techniquement, qu’il traversait la vie avec un visa de tourisme. Dès les premières pages du Mythe de Sisyphe, Camus, qui ne rechigne pas devenir lourd lorsque son propos l’exige, pose le suicide comme étant le seul problème philosophique réellement important. Après avoir constaté l’absurdité du monde, l’Homme, nous dit Albert, est aux prises avec l’alternative suivante : ou bien il refuse ce monde qui n’a pas de sens (et donc se suicide) ou bien il demeure vivant et doit alors trouver la force de suppléer à ce vide en attribuant arbitrairement à l’existence un sens qui n’existe pas intrinsèquement. Mais pour son malheur, au contraire de « l’Homme » camusien, faisant son frais avec son H majuscule, Érostrate était, d’une part, dépourvu de la force morale nécessaire pour s’inventer un destin malgré l’absurdité du monde et, d’autre part, trop pissou pour se faire sauter le caisson. Pas assez niaiseux pour accepter le deal mais pas assez intense pour se crisser en bas du pont. Il vivait assis entre deux chaises, tel un aristocrate qui, invité à une fête populaire, fait acte de présence mais refuse de compromettre sa dignité en dansant la bourrée. Dans ses conditions, l’indifférence était tout ce qu’il pouvait s’offrir. La vie n’a pas de sens ? Big fucking deal ! »

François Blais, Iphigénie en haute-ville, Québec, L’instant même, 2006, p. 19.

Personnages pluriels

Comment raconter la collectivité, donner une voix à la pluralité? Deux romans récemment parus réussissent ce pari avec brio. Avec Cent seize Chinois et quelques (Seuil, 2010, 127 pages), Thomas Heams-Ogus  parvient à l’aide d’un « on » impersonnel à rendre sensible au lecteur la dépossession d’eux-mêmes dont ont été victimes les Chinois d’Italie envoyés aux camps entre 1941 et 1943. Privés de nom par l’Histoire, ils ne retrouveront le leur qu’à la toute fin du livre.

Chez Julie Otsuka, c’est le « nous » qui s’exprime à la place de ces Japonaises venues épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’avaient vu qu’en photo. La désillusion, la misère des travaux aux champs, l’ostracisme par ces Blancs dont souvent elles ne parlent pas la langue, l’enfermement durant la Seconde guerre mondiale, tout cela est narré par ce « nous » qui se fait tantôt général, tantôt spécifique.

Certaines n’avaient jamais vu la mer (Phébus, 2012, 142 pages, Fémina étranger) et Cent seize Chinois et quelques proposent une autre définition du personnage, près du chœur, où la dépossession est aussi poétique.

(Je ne peux m’empêcher de souligner : quels titres!)

Les amis imaginaires

« Aux grands lecteurs les personnages des romans deviennent plus réels que les personnes de la vie. Ils pensent souvent à eux, leur rendent visite dans les livres, ils les aiment beaucoup, ils leur manquent souvent, les agacent parfois, enfin, des amis, quoi. » Charles Dantzig, Pourquoi lire ? Grasset, Le livre de poche, 2011, p. 93.

Velléitaires? Nous?

Difficile de remettre en question la passivité du personnage romanesque contemporain quand on lit ce que Tess et Jude, les protagonistes du roman Document 1, de François Blais (L’instant même, 2012), disent d’eux-mêmes :

« Pas notre spécialité ça, les moves. Ma sœur dit que si le mot « velléitaire » n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer spécialement pour nous. Mais elle a tort, d’ailleurs elle dit ça juste pour faire shiner un des seuls grands mots qu’elle connaît. Velléitaire, ça veut dire que tu as l’intention de faire quelque chose, mais que tu branles dans le manche; eh bien je peux te jurer qu’on n’a jamais eu la moindre velléité. » (p. 37)

Un extrait qui se suffit à lui-même.

Détachement, insouciance

Tristan Poque, personnage principal du roman Voyager léger de Julien Bouissoux (Éditions de l’Olivier, 2008) peine à comprendre le monde qui l’entoure et surtout les gens qu’il côtoie. Cela résulte chez lui en une certaine passivité, un certain détachement qui n’est pas sans rappeler les personnages de Jean-Philippe Toussaint et Christian Oster. Dans l’extrait qui suit, Tristan invite une collègue à aller prendre un café avec lui:

« – Mais où tu m’emmènes ?
– Bah: au café.
– J’avais compris que tu voulais qu’on aille à la machine à café.
J’ai examiné les options sur son visage.
– C’est bien meilleur quand c’est une vraie personne qui le fait. C’est dommage.
– Mais je bosse, moi. Qu’est-ce que tu crois ?
– Je ne crois rien. Je découvre les choses au fur et à mesure.» (p. 121-122)

Le personnage de Tristan donne l’impression d’éviter, peut-être par crainte d’éventuelles déceptions, de faire le moindre effort interprétatif. Le plus souvent, dans Voyager léger, il se laisse bercer par les événements sans se soucier de leurs conséquences sur lui ou sur les autres.

Le personnage farfelu

Le laboratoire pluridisciplinaire LASLAR de l’Université de Caen Basse-Normandie lance un appel à communication pour un colloque ayant comme thème Le personnage farfelu dans la fiction littéraire (XXe-XXIe siècles). Voir l’appel ici.

On aime détester les personnages de roman

Faisant suite, en quelque sorte, à la réflexion d’Evan Gottlieb sur l’identification aux héros des romans que l’on lit, le New Yorker publie un petit sondage mené auprès de cinq romanciers sur la likeability de leurs personnages.

Margaret Atwood (s’auto-citant…) résume en disant : « Create a flawless character and you create an insufferable one. »

Et sur le rôle des personnages antipathiques, leur place dans la réussite d’un roman et le contrôle par les lecteurs, Tessa Hadley conclut de la sorte :

I’ve hated characters in the books I’ve read sometimes, and problematically, so that it spoiled the book. I couldn’t live with Mickey Sabbath on my bedside table. He roused a violent antipathy in me, even though I knew that was precisely what he was meant to do, rouse antipathy in someone like me, and I tried with all my might to resist feeling it. But I failed. So I know that this “likeability” thing isn’t altogether under readers’ control. I find Mrs. Dalloway a pain, too.

Construire un personnage

« Un personnage n’existe pas : existent les mots qui le suggèrent. »

« Un personnage n’existe pas : existe l’histoire qu’il contribue à porter. »

« Un personnage n’existe pas : existe la transparence qui fait voir la couleur de sa cervelle et la maladie de ses boyaux. »

Matt Olbren | Construire un personnage (aphorismes sur)

première traduction française du premier guide historique de l’american creative writing, par François Bon

 

Narrations d’un nouveau siècle, romans et récits français (2001‑2010)

Les actes du colloque qui s’est tenu au centre culturel et international de Cerisy‑la‑Salle du 16 au 23 août 2011, Narrations d’un nouveau siècle, romans et récits français (2001‑2010), publiés en février dernier, font l’objet d’un recensement chez Fabula. Lire ici le compte rendu qu’en fait Claire Colin.