« D’Érostrate aussi on pouvait dire qu’il n’était parmi nous que techniquement, qu’il traversait la vie avec un visa de tourisme. Dès les premières pages du Mythe de Sisyphe, Camus, qui ne rechigne pas devenir lourd lorsque son propos l’exige, pose le suicide comme étant le seul problème philosophique réellement important. Après avoir constaté l’absurdité du monde, l’Homme, nous dit Albert, est aux prises avec l’alternative suivante : ou bien il refuse ce monde qui n’a pas de sens (et donc se suicide) ou bien il demeure vivant et doit alors trouver la force de suppléer à ce vide en attribuant arbitrairement à l’existence un sens qui n’existe pas intrinsèquement. Mais pour son malheur, au contraire de « l’Homme » camusien, faisant son frais avec son H majuscule, Érostrate était, d’une part, dépourvu de la force morale nécessaire pour s’inventer un destin malgré l’absurdité du monde et, d’autre part, trop pissou pour se faire sauter le caisson. Pas assez niaiseux pour accepter le deal mais pas assez intense pour se crisser en bas du pont. Il vivait assis entre deux chaises, tel un aristocrate qui, invité à une fête populaire, fait acte de présence mais refuse de compromettre sa dignité en dansant la bourrée. Dans ses conditions, l’indifférence était tout ce qu’il pouvait s’offrir. La vie n’a pas de sens ? Big fucking deal ! »
François Blais, Iphigénie en haute-ville, Québec, L’instant même, 2006, p. 19.