Jouve

Objet de la démonstration, approche privilégiée

Le critique met en lumière les impasses de l’immanence des études formalistes, structuralistes, sémiotiques sur la notion de personnage; Jouve fait peu de nuances. Son objet d’étude : repenser le personnage à travers la lecture. À la question de savoir ce qu’est un personnage doit se succéder cette autre : qu’advient-il de lui dans la lecture ? Comment et à quelles fins le lecteur l’appréhende-t-il ? Notre vision d’une personnage dépend d’abord (avant son portrait physique et moral) de la façon dont il nous est présenté par le texte. Il n’est pas de roman sans personnage.

Points nodaux de l’argumentation

Le critique divise son étude en trois parties, de la plus « textuelle » à la plus « lectorale » : la perception, la réception et l’implication.

Dans la section perception, il analyse de la représentation qui supporte le personnage au cours de la lecture. Jouve s’intéresse à la caractérisation du personnage, forcément incomplète (quelle serait la limite pour une caractérisation complète?), dont au moins une propriété du personnage peut être reliée au monde réel (autrement, le personnage serait inassimilable pour le lecteur), qui ne se fixe qu’à la toute dernière page. Il propose le concept de personnage surnuméraire pour qualifier ceux qui n’ont pas de référent réel.

La réception consiste à examiner les relations qui se nouent entre le lecteur et le personnage. Trois régimes de lecture : le lectant (le texte est d’abord une construction), le lisant (victime de l’illusion romanesque, le lu (partie inconsciente satisfaisant les fantasmes par la lecture. Autant de parts d’un même lecteur mais engagées dans différentes proportions selon les romans. Ces régimes sont issus des catégories de Michel Picard, La lecture comme jeu.

L’implication, une phénoménologie de l’interaction lecteur/personnages et l’analyse des prolongements extratextuels qui en découlent. La lecture, au-delà des sensations qu’elle procure, oblige le lecteur à se redéfinir; c’est un événement à part entière qui influe sur le hors-texte.
La relation avec le personnage connaît parfois des prolongements dans notre quotidien. Il existe une « vérité sauvage » du personnage, celle qu’il transporte et qui est au service d’une finalité extra-romanesque. Elle est modulée par le narrateur, qui influence le lecteur et le place dans la perspective voulue : par la persuasion, la séduction ou la tentation.

L’être et l’agir du personnage romanesque

Le personnage est conditionné par sa place dans la structure actantielle du récit, mais ne s’y limite pas; il est à l’origine de l’action narrative. Le pouvoir, le vouloir et le savoir sont des modalités qui orientent, en dessinant des isotopies, le devenir des personnages.

L’identité du personnage se ramènerait à celle des rapports entre qualifications et fonction. Il y a redondance parfaite (permanence du personnage dans son être) ou décalage. Les personnages pourraient donc se répartir en types (pouvoir-faire ou qualifications = vouloir-faire ou fonction), caractère (pouvoir-faire = vouloir-faire mais conscient de sa fonction (savoir)), individu (pouvoir-faire n’égale pas le vouloir-faire) et personne (pouvoir-faire n’égale pas le vouloir-faire et conscient de sa fonction (savoir)).

Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, 1992, 271 p.