Alain Rabatel, Homo Narrans. Pour une analyse énonciative et interactionnelle du récit. Tome 1, les points de vue et la logique de la narration, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2008.
Objet de la démonstration
Alain Rabatel formule l’objectif de son ouvrage dès les premières lignes du texte : il veut recourir au point de vue (PDV), en tant qu’outil d’analyse, afin de dépasser la notion de focalisation, de narrateur, des modalités qui demeurent de l’ordre de l’immanence, trop collées au texte. Il explique : « Autrement dit, il nous faut examiner l’Homme narrant non plus à travers une logique du récit qui réduit son rôle à une voix plus ou moins désincarnée assurant des fonctions de “régie narrative”, mais à travers une logique de la narration qui confère à cette voix un corps, un ton, un style, une inscription dans une histoire (à tous les sens du terme), des goûts et des dégoûts, des partis pris qui n’existent qu’à travers la manière de créer des mondes et des personnages […]. » (p. 12) L’Homme narrant est un « sujet qui raconte des histoires » (p. 12) Plus précisément, le sujet est de nature linguistique et il possède, selon lui, trois caractéristiques : il est un co-acteur, il est hétérogène et polyphonique. Le but est donc, comme le révèle un des sous-titres de l’introduction, de revaloriser le rôle du narrateur et du lecteur co-énonciateur. Il explique la place fondamentale et dynamique de ces deux instances :
« S’il est vrai que le narrateur est une instance et que celle-ci s’appréhende à partir de ses actes, alors force est de constater que “le” narrateur est à la fois une abstraction commode qui repose au demeurant sur une réalité énonciative fondamentale d’être l’énonciateur primaire et dans le même temps un syncrétisme qui ne doit pas masquer les positions diverses occupées par le narrateur dans la scénographie énonciative dont il est l’organisateur. Le narrateur n’est pas seulement avec ses personnages, “avec eux”, “en dessous d’eux” ou au-dessous d’eux”, comme l’a montré J. Pouillon. Plus exactement, quelle que soit sa position, il est ses personnages, en toute réalité énonciative du moins. » (p. 32)
Il précise également qu’« [u]n tel choix théorique suppose de dépasser l’approche immanentiste du récit pour s’appuyer sur une analyse interactionnelle de la narration, inscrite elle-même dans le cadre de l’analyse du discours » (p. 11). Son approche du discours repose d’ailleurs sur les travaux de Maingueneau (2004) et d’Amossy (2006). Bien que l’on tente de se repositionner par rapport à la narratologie, on n’invalide pas tous ses outils d’analyse. Le schéma actantiel demeure pertinent, de même que le carré sémiotique, les isotopies, etc.
Définitions pour récit / narrativité / autres termes centraux
La seule mention éloquente qui est fait concernant la définition du terme récit est rapidement esquissé et est formulé à l’intérieur d’une parenthèse : le récit pour Rabatel consiste en la fabula.
Fonctions attribuées au récit
Le récit a une fonction rhétorique. Il agit à titre d’influence et cela est présentée selon une perspective anthropologique : « Incontestablement, le réit influe sur nos manières de voir, d’autant plus efficacement qu’il propose, sans imposer. Cette force persuasive du récit invite à préciser la nature des rapports entre argumentation et récit. » (p. 28) Pour parvenir à défendre la portée persuasive de la narration, Rabatel a recours aux travaux de Victorri : « Selon Victorri, l’émergence de la fonction narrative correspondrait au mécanisme dont les homos sapiens sapiens se seraient dotés pour éviter les crises mettant en danger la survie du groupe : les mythes et les religions mettraient en scène sous forme narrativisée les grands conflits et impératifs moraux auxquels se conformer. » (p. 28) Le récit a donc une valeur anthropologique mais plus encore une valeur pédagogique et rhétorique.
Liens avec la fiction
Il est question de mimésis. On s’intéresse à la représentation du monde et à l’incarnation de celui-ci par l’entremise du sujet percevant : « Les centres de perspectives (personnage et narrateur) sont ainsi la résultante d’une double mimésis […] qui construit et garantit le personnage à partir d’une re-présentation de l’objet opérée par le travail perceptuel et cognitif du sujet. Le mimétisme ainsi conçu est traversé par la question de la réflexivité, puisqu’il correspond aux efforts du sujet pour s’approcher au plus près de la réalité de l’objet conformément à l’usage de celle-ci, dans l’interaction où il se trouve pris. » (p. 27) Ainsi, Rabatel établit un lien étroit entre la mimésis et le récit dans la mesure où l’un permet d’organiser l’argumentation qui met en scène la réalité (avec ce que cela comprend d’écueils à éviter) : « Ainsi, il existerait des rapports étroits entre mimésis et signes iconiques. EN outre, le récit mimétique participerait à l’émergence d’une forme nouvelle de rationalité (autour de l’argumentation), ce dont témoignerait le rôle “argumentatif” du récit, en tant qu’“exemple” (paradeigma), dans le cadre des raisonnements abductifs (Danblon, 2002 : 106-107). Ainsi, les récits premiers, par leur racontabilité (leur effabilité), sont-ils déjà dotés d’une argumentabilité primitive, et servent-ils de support à l’émergence de formes symboliques d’argumentation. » (p. 29).
Approches du récit
Le récit est envisagé depuis des postures pragmatiques et linguistiques, combinées à des approches narratologiques. L’ouvrage fait se croiser l’étude de l’énonciation et de la narration.