Définitions
« Que le sens commun confonde narration et récit, on ne s’en étonnera pas. Mais que le langage critique contemporain donne parfois dans le même travers, on ne peut que le regretter tout en rappelant que cette confusion procède d’une substitution. En effet, dès lors que récit est employé dans le sens d’histoire – ce qui est fort répandu – il ne reste plus qu’à se rabattre sur narration. C’est ce que font Barthes et le groupe de rhétorique de Liège qui titre “Les figures de la narration” pour parler de celles du récit. Plus graves sont au regard de la narratologie stricto sensu quelques interprétations glissées subrepticement dans l’analyse sémiotique et son ouvrage de référence. Ainsi à lire certain article, il apparaît que narrataire et narrateur ressortissent à l’énonciation, tandis que la narration est devenue synonyme d’énoncé. L’attention de Genette rencontre au moins à deux reprises le concept de narration. La première fois, c’est pour affirmer la vieille distinction de Marmontel : la narration expose des faits et la description des choses ; c’est du même coup en faire une alternative structurant le discours romanesque. Dans ces conditions, la narration est moins une activité qu’une espèce du récit qui résulte de cette activité et l’atteste ; ce que l’on peut dire avec Barthes : ”… le discours s’identifie à l’acte qui le délivre…” («Introduction à l’analyse structurale des récits», dans Communications, vol. 8 (1966), p. 21) La seconde fois, c’est dans Figures III : la narration, soigneusement identifiée et délaissée comme produit discursif, est alors considérée comme un acte producteur. Pas question bien entendu de reprocher à Genette de s’en tenir au roman, mais le fait est que le théâtre classique recours aussi à la narration (intradiégétique évidemment).
« Une fois écartés (à titre méthodologique) les acteurs que sont le narrateur et le narrataire, il importe de préciser les modalités propres à la narration et en particulier ses coordonnées spatio-temporelles. Où et dans quelles circonstances est produit le récit? se demande le narratologue fort embarrassé, et pour cause. En effet, sauf dans des cas particuliers (narration intradiégétique ou littérature orale), le lieu de la narration est “rarement spécifié, et n’est pour ainsi dire jamais pertinent…” (G. Genette, Figures III, Le Seuil, 1972, p. 228.) La raison en serait que l’attention est d’abord requise par les nécessités de la spécification temporelle. Pour ce qui est du moment de la narration, de deux choses l’une : ou bien il est mentionné explicitement, ou bien – ce qui est beaucoup plus fréquent – il ne vaut que par son rapport au temps de l’histoire, lequel est extrapolable des marques verbales (et adverbiales) du récit. L’orfèvre en la matière distingue quatre cas de figure, dont certains sont largement modulables : la narration ultérieure (qui peut l’être plus ou moins et faire varier son rapport à l’histoire en fonction de l’énonciation qu’elle adopte), la narration antérieure (qui ne l’est officiellement que si l’histoire a bien lieu après), la narration simultanée (mais le présent du récit est ambigu et ambivalent) et la narration intercalée (le roman épistolaire). Enfin, dans la mesure où la topique narrative a fait l’objet de procédures de stratification, il convient de rappeler que le niveau de la narration est radicalement différent de celui de la diégèse. La narration primaire est extradiégétique par rapport à la diégèse qu’elle génère ; si cette dernière est elle-même le lieu d’une narration (intradiégétique donc), le produit sera une métadiégèse, niveau auquel il n’est pas interdit de raconter… » (Gérard-Denis Farcy, Lexique de la critique, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 69-71)
Lectures
Selon Genette, la narration est ”l‘acte narratif producteur”. Genette, dans le Discours du récit, présente la narration comme étant l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle l’acte narratif producteur prend place. Elle est, avec l’histoire, l’une des deux composantes de base du récit. Alors que l’histoire constitue davantage le contenu narratif de l’oeuvre, son signifié, la narration, elle, est le procédé grâce auquel le signifiant prend forme.
Huglo reprend à Genette l’opposition entre l’histoire et la narration, car c’est dans l’écart entre le monde raconté et l’acte narratif qu’intervient la voix, à laquelle elle s’intéresse tout particulièrement en déplaçant les enjeux établis par le théoricien. Huglo fait glisser la voix narrative du côté de la parole subjective, s’écartant ainsi de la schématisation et du découpage structuralistes qui occupent Genette. Elle justifie cette inflexion méthodologique « comme une façon de prendre acte des poétiques de la voix caractéristiques de notre modernité » (p. 15).
En dépit du fait que Villeneuve doit davantage à Ricoeur qu’à Genette, il est intéressant de noter qu’entre la narration (potentiel formel des intrigues) et l’histoire racontée (horizon sémantique des intrigues), là où Huglo situe la voix narrative, Villeneuve y voit pour sa part s’élever le sens de l’intrigue. Si la voix narrative et le sens de l’intrigue sont des notions différentes, il reste qu’elles permettent à leur auteure d’aborder la question du sensible et du perceptible dans le récit, avec ceci de différent que ces qualités passent par la voix pour l’une, et par l’intrigue pour l’autre.