Comment définir les exigences définitionnelles qui permettent de qualifier le personnage de héros, quels sont les facteurs qui permettent d’attribuer une telle épithète à un personnage ? Voilà la grande question posée par la majorité des critiques. Notons que bien des théoriciens utilisent le terme « héros » sans nécessairement théoriser, comme synonyme de personnage principal. Je pense ici à Eco (De Superman au surhomme) et à Goldmann (« héros problématique »).
Il relève d’abord certains cas de figure liés à la caractérisation, un procédé qui sert, dit-il à reconnaître le personnage. L’appellation; la caractérisation directe (l’information sur son caractère est donnée par l’auteur (sic), un autre personnage ou par lui-même) et indirecte (le caractère ressort de ses actes, de sa conduite); le caractère constant (qui reste le même au cours de la fable) ou changeant (qui évolue au fur et à mesure du déroulement de l’action).
Dans un deuxième temps, Tomachevski s’attarde aux moyens pour capter l’attention et l’intérêt du lecteur. Le moyen fondamental, dit-il, consiste à provoquer la sympathie. Les types positifs/négatifs provoquent un rapport émotionnel sympathie/antipathie avec le lecteur. « Le personnage qui reçoit la teinte émotionnelle la plus vive et la plus marquée s’appelle le héros […] Le héros n’est guère nécessaire à la fable. La fable comme système de motifs peut entièrement se passer du héros et des ses traits caractéristiques ». Précision de type immanentiste : le rapport émotionnel est contenu dans l’oeuvre. La sympathie pour un personnage pourrait provoquer le dégoût et la répulsion pour le même caractère dans la vie réelle.
Autour de la différenciation du héros, qui s’observe d’abord par l’emphase, la focalisation, la modélisation de l’énoncé (le texte), mise de l’avant par différents procédés (tactiques, quantitatifs, graphiques, etc.); l’accentuation est pré-déterminée par une série de codes culturels (x est héros dans telle culture et à telle époque, ce qui provoque parfois des distorsions de lecture, mais il y a des constantes).
5 procédés de différenciation : 1) une qualification différentielle (le héros supporte des qualités que d’autres n’ont pas ou dans une moindre mesure) 2) une distribution différentielle (apparition fréquente à des moment-clés) 3) une autonomie différentielle (apparaît seul ou conjoint avec n’importe quel autre personnage; souvent seul à disposer du monologue) 4) une fonctionnalité différentielle (enregistré comme héros à partir d’un corpus et à postériori. Référence à la globalité de la narration. Le héros de Propp est défini sur ce type de critères fonctionnels, par sa sphère d’action) 5) Une prédésignation conventionnelle (le genre de l’oeuvre définit à priori le héros).
Queffélec
Lise Queffélec, « Personnage et héros », dans Personnage et histoire littéraire, Toulouse, Université de Toulouse-le-Mirail, coll. « Chemins Cliniques », 1991, p. 235-248.
Il y a confusion entre les termes héros et personnage car les deux notions occupent à peu près la même place dans la théorie et dans les raisonnements concernés (pas de différences majeures entre les deux idées « héros » signifiant le plus souvent « personnage principal »).
1 – Distinction entre les descriptions structurales et les typologies de personnages (selon Ducrot et Todorov)
Description structurale : ne se fait que dans le cadre de l’analyse propositionnelle du récit; le personnage occupe alors uniquement une fonction syntaxique. Le terme de héros n’est alors pas plus signifiant que celui de personnage principal.
Typologiques formelles vs typologies substantielles : Typologies formelles opposent des types, des personnages statiques tout au long du récit. Les typologies qui ordonnent les personnages selon qu’ils sont principaux ou secondaires est déjà plus fonctionnelle car elles indiquent que le héros (le personnage principal) a un rapport privilégié à l’action.
Typologies de Propp, Souriau et Greimas :
Propp : dans le cadre des ses 7 sphères d’action, le héros est avant tout un rôle. Propp définit le héros selon son rapport à l’action et la nature de cette action; idée de définition actantielle-fonctionnelle, mais aussi culturelle du héros.
Souriau : à rapprocher de Greimas et de son schéma actantiel, puisque son analyse ne se fonde que sur les fonctions dramatiques, sur les rôles des personnages, particulièrement dans le théâtre.
Greimas et Courtès : selon les termes de Philippe Hamon, ajoutent une dimension axiologique (héros comme représentant d’un système de valeurs) et projectionnelle qui caractérise davantage le héros par rapport au personnage. Hamon introduit une nouvelle donnée pour définir le héros : le contexte socio-culturel.
2- Étude diachronique de l’évolution de la notion de héros par rapport à celle de personnage; il est important de se rappeler que le terme « héros » est issu du vocabulaire religieux, anthropologique, culturel, etc. tandis que le terme de « personnage » est principalement utilisé par la critique littéraire.
Sens mythologique de héros : lien entre le monde mythique et le monde humain, il est divinisé pour ses actions extraordinaires et l’objet d’un culte d’abord religieux, puis profane, à travers le héros épique, tragique, historique, médiatique, etc.
Dans le roman populaire romantique, le héros est représenté à la fois comme un idéal et comme une illusion; depuis le roman médiéval s’est développé la fonction de représentation réaliste du roman; l’effacement, la disparition et la réapparition du héros sont liés à ce développement du réalisme romanesque.
Le héros ne peut toutefois pas disparaître, entre autres parce qu’il suscite l’essentiel investissement émotionnel du lecteur.
Jouve
Vincent Jouve, « Le héros et ses masques », Le personnage romanesque, Paris, Faculté des lettres de Nice, Cahiers de narratologie no 6, 1995, p. 249-255.
“Si le héros n’est pas nécessairement le personnage principal et s’il n’est pas toujours a priori, quelles sont donc les caractéristiques qui permettent de le saisir ?”
Deux façons d’envisager la question, que Jouve développe dans le reste de l’article: a) L’approche sémiologique, qui tente de définir le héros en restant dans le système de l’oeuvre. Principalement Philippe Hamon dans Texte et idéologie. b)La démarche historique qui, partant de l’étymon grec, analyse les glissements sémantiques dont le terme de héros a été l’objet. Voir Lise Queféllec, “Personnage et héros” dans Personnage et histoire littéraire
Selon Jouve, on peut attribuer au héros deux “traits permanents”: La singularité: le héros est toujours celui qui focalise l’attention, il s’agit toujours d’un personnage remarquable, digne d’intérêt. Toutefois, “alors qu’à l’époque classique, le héros attirait d’abord l’attention par ses exploits, à l’époque moderne, c’est surtout par la façon dont le texte le présente qu’il suscite l’intérêt. La singularité du personnage quitte le plan du signifié pour celui du signifiant. Le héros prédéfini (conforme aux normes culturelles) a ainsi progressivement cédé la place à un héros construit (dépendant des seules techniques narratives)”. Cela amène Jouve à suggérer que le héros est devenu, avec les années, un personnage principal – qui n’est donc pas nécessairement conforme à l’idéologie dominante.
L’exemplarité: si, à l’origine, le héros était loué pour son soufrage, ses exploits, sa force de caractère, etc., ce que Jouve nomme “exemplaire au sens premier”. Avec le roman moderne, l’attitude des héros n’a rien de vraiment glorieux, mais ils sont tout de même “les protagonistes d’un itinéraire qui, lui, est souvent édifiant” (Emma Bovary, Frédéric Moreau et Molloy sont les exemples de Jouve). Le héros moderne serait donc exemplaire au sens second, en tant que “sujet d’une histoire qui doit servir d’avertissement ou de leçon. Quels que soient le genre ou la période concernés, le héros est donc toujours, directement ou indirectement lié à l’exemplarité: soit le héros est admirable et l’histoire ne sert qu’à le mettre en scène; soit le héros n’est pas admirable, mais il est le prétexte à une histoire qui est riche en enseignements.” Jouve nomme respectivement ces deux types de héros “convexe” et “concave”.
Il me semble pourtant que le personnage déconnecté (dans sa forme plus extrême en tout cas) tel qu’on le voit dans les romans contemporains n’est pas exemplaire, pas plus qu’il ne s’inscrit dans un récit exemplaire. Pourrait-ce s’agir là d’une manière de le définir ou de le caractériser ? Par son absence totale d’exemplarité ?
Enfin, Jouve établit une typologie des héros, en fonction de leur singularité et de leur exemplarité:
Le champion: héros convexe protagoniste; sa conduite est exemplaire et il occupe le devant de la scène (Énée, D’Artagnan, James Bond). Le modèle: héros convexe non protagoniste; sa conduite est exemplaire, mais il est plus discret (Lévine dans Anna Karénine). Le cobaye: héros concave protagoniste; sa conduite est loin d’être exemplaire, mais il est sujet d’histoire porteuse de leçon (Bardamu dans Voyage au bout de la nuit, Roquentin dans La Nausée). Le révélateur: héros concave non-protagoniste; sa conduite n’a rien d’admirable, mais sa présence est la condition du sens de l’histoire (Le père Goriot).