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Un fanatisme fusionnel

Dans Le Vent dans la bouche de Violaine Schwartz, la narratrice et protagoniste, madame Pervenche, préside une association de grabataires militant ardemment pour que soit réhabilitée Fréhel – une chanteuse française de l’entre-deux-guerres – dans la mémoire collective. Mais l’admiration qu’éprouve madame Pervenche pour Fréhel est telle qu’elle s’identifie complètement à la chanteuse décédée depuis plus d’un demi-siècle: 

Elle était rentrée dans ma tête, elle s’était faufilée à l’intérieur, la nuit pendant mon sommeil, comme un ver dans une pomme, ou un perce-oreille, ou une tumeur, ou un virus, ou la gale. Maintenant, je m’y suis habituée. Je ne lutte plus comme quand je tapais dans les murs, quand j’essayais […] de la faire taire […] . J’attends que ça passe, les yeux plantés dans mon rideau à guetter les couleurs du matin.

On s’en doute, les frontières entre les personnages de madame Pervenche et de Fréhel s’en trouvent passablement perturbées. En effet, tout au long du roman, la narratrice emploie la première personne du singulier autant pour parler d’elle-même que pour raconter en détail la vie de Fréhel qu’elle connaît par cœur; pour revivre, voire s’approprier cette existence si excitante en y insérant des bribes de la sienne, comme ici lorsqu’elle rappelle son rôle de présidente d’association au milieu d’un passage biographique consacré à Fréhel, au milieu d’un passage où madame Pervenche était Fréhel:

J’ai vingt ans, le Tout-Paris au creux de la main et Maurice Chevalier dans la peau. Toutes les nuits, je prends un nouvel amant pour le faire enrager. Le faire bander de rage. Pour m’en protéger. C’est moi qui commande. C’est moi la vedette. C’est moi la présidente. On boit comme des trous, on respire de l’éther, on regarde nos pensées se déployer à l’infini dans l’air confiné de la chambre.

Schwartz, Violaine, Le vent dans la bouche, Paris, POL, 2013.

Les amis imaginaires

« Aux grands lecteurs les personnages des romans deviennent plus réels que les personnes de la vie. Ils pensent souvent à eux, leur rendent visite dans les livres, ils les aiment beaucoup, ils leur manquent souvent, les agacent parfois, enfin, des amis, quoi. » Charles Dantzig, Pourquoi lire ? Grasset, Le livre de poche, 2011, p. 93.

On aime détester les personnages de roman

Faisant suite, en quelque sorte, à la réflexion d’Evan Gottlieb sur l’identification aux héros des romans que l’on lit, le New Yorker publie un petit sondage mené auprès de cinq romanciers sur la likeability de leurs personnages.

Margaret Atwood (s’auto-citant…) résume en disant : « Create a flawless character and you create an insufferable one. »

Et sur le rôle des personnages antipathiques, leur place dans la réussite d’un roman et le contrôle par les lecteurs, Tessa Hadley conclut de la sorte :

I’ve hated characters in the books I’ve read sometimes, and problematically, so that it spoiled the book. I couldn’t live with Mickey Sabbath on my bedside table. He roused a violent antipathy in me, even though I knew that was precisely what he was meant to do, rouse antipathy in someone like me, and I tried with all my might to resist feeling it. But I failed. So I know that this “likeability” thing isn’t altogether under readers’ control. I find Mrs. Dalloway a pain, too.