Diégèse

Définitions

« À l’origine de ce néologisme – et des problèmes qu’il ne pouvait alors imaginer – se trouve E. Souriau qui cherchait un vocabulaire neuf en vue d’analyser l’esthétique cinématographique. Le souci était tout à fait légitime ; toutefois, pour qualifier l’univers dans lequel l’histoire advient, l’auteur naturalise un terme (diégésis) qui en grec désignait quelque chose de complémentaire, certes, mais d’absolument différent, à savoir le récit. Donnons acte à E. Souriau de ce qu’il n’avait guère le choix : histoire (comme l’explicitera plus tard Genette) était hors de question en raison de son sens historiographique ; quant à muthos, il était (en grec comme en français) aussi polysémique. Une vingtaine d’années plus tard, Genette (dans Figures III) adopte le terme, à ceci près qu’il emploie le plus souvent l’adjectif (diégétique) pour désigner ce qui fait (ou non) partie de l’histoire, et que substantivement il semble préférer histoire. Bien que n’étant pas le seul responsable de l’usage de diégèse comme synonyme ou substitut d’histoire, Genette a cru bon de faire ensuite une mise au point. C’est ainsi que Nouveau discours du récit précise que la diégèse est l’univers de l’histoire (ce que pensait aussi E. Souriau), autrement dit que celle-là est un espace et un ensemble et celle-ci une trajectoire et un enchaînement. L’embarras étant que diégétique se rapporte à la fois à diégèse et à histoire. Hors du cadre de la narratologie stricto sensu, le concept a parfois donné lieu à des malentendus – c’est le moins qu’on puisse dire. En effet, comme figure du contenu, la diégèse pouvait fort bien intéresser la sémiotique. Délimiter un univers, fixer des règles logiques en vertu desquelles un objet serait diégétique ou pas : ces tâches étaient de son ressort. Faute de quoi, l’ouvrage de référence se contente d’une définition expéditive qui entretient la confusion et dont il pouvait assurément se dispenser.

« Comme on l’a déjà vu, cette acceptation couramment admise procédait d’un détournement de sens. Le problème, sinon le quiproquo, a donc surgi lorsque certains sont ensuite revenus au sens littéral : puisque le terme vient de diégésis, la diégèse c’est du récit ; ce n’est plus un univers mais son mode de présentation, c’est-à-dire une modalité. À qui se fier? pourrait alors se demander l’usager perplexe ; à qui donner raison? Philologiquement, il y a d’un côté un contresens et de l’autre l’argument étymologique. Pratiquement, les choses sont bien différentes : le “contresens” tient lieu de précédent, il fait autorité dans les milieux de la poétique narrative et il s’accompagne d’une mise au clair terminologique et conceptuelle : la diégèse n’est ni l’histoire ni la diégésis. Mais d’un autre côté, pourquoi exiger que d’autres, ignorant (dans un sens ou dans l’autre) la filière E. Souriau-GEnette, se soumettent à cet usage et renoncent à la simple traduction? Reste enfin le problème de la dérivation, étant entendu que les dérivés l’ont été à partir du radical [diégèt]. Or, toute la question est de savoir si ce radical vient de diégèse ou de diégésis. Une fois de plus, Genette a répondu clairement en faisant dériver diégétique de diégèse ; mais, comme on pouvait s’y attendre, bien des spécialistes ont fait le contraire. Là aussi, la duplicité sémantique des termes est gênante : diégétisation par exemple consiste dans un cas à intégrer à la diégèse un personnage qui lui était étranger, dans l’autre elle consiste à accroître l’emprise de la diégésis sur la relation d’un événement. Bien entendu, personne ne s’est avisé de recourir au radical [diégès] ; atypique certes, il aurait pourtant rendu bien des services. » (Gérard-Denis Farcy, Lexique de la critique, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 37-39.)

« (du grec diègèsis, “narration”). On appelle diégèse l’ensemble des données narratives présentées dans un récit. Plus schématiquement encore, on peut dire que la diégèse est l’“histoire” que propose le récit. La diégèse doit donc être considérée indépendamment du texte narratif proprement dit : il arrive par exemple fréquemment qu’un épisode de la diégèse soit omis dans le récit. Par extension, on appelle parfois diégèse l’ensemble du matériel fictif (personnage, lieux, circonstances…) mis en scène dans un roman ou une nouvelle.» (Michel Jarrety [dir.], Lexique des termes littéraires, Paris, Gallimard (coll. Le livre de poche), 2001, p. 128)