Margolin

Objectif de la démonstration et approche privilégiée

Margolin s’inscrit dans la lignée des critiques ayant mis en place une théorie des mondes possibles (Pavel, Dolezel, Ryan). Le roman est une représentation verbale d’une succession d’hypothétiques états de chose. Le critique s’attarde ici à la question spécifique du personnage. Les personnages sont des membres d’un monde possible, qui peuvent être identifiés, situés selon leurs attributs et relations, posséder une intériorité et une personnalité.

Points nodaux de l’argumentation 

Le personnage est défini comme un objet abstrait, qui existe par des moyens langagiers, construit par une lecteur réel dans l’acte d’imagination. Margolin reprend la distinction de Recher entre un personnage supernumerary ou possible ind (totalement inventés) et actual (version d’une personne ayant vraiment existée. Les « possibles inds » ne sont pas découverts mais construits. Ils possèdent les propriétés construites à partir des propositions qui sont vraies selon le texte. Contrairement aux actuals (uniques, permanents, projections discontinues), ils sont schématiques, radicalement incomplets et nous ignorons s’ils possèdent ou non la propriété en question. Ils peuvent avoir une série de propriétés incompatibles, comme dans les oeuvres postmodernes, explicitées par le texte ou inférées par le lecteur. Il existe 4 conditions constituant l’individu : L’existence : satisfaite si et seulement si le texte l’établit; L’individualité : ses qualifications, propriétés physiques et mentales, what it is like ? La singularité : ses relations et différenciation vis-à-vis des autres individus. Trois champs de différenciation possible : sa position spatio-temporelle, ses propriétés physiques et ses propriétés mentales (nature et hiérarchie). Ces trois conditions sont logiques; la dernière, l’unité des traits, est optionnelle (pensons au Nouveau Roman). Tâche critique consistant à établir un ordonnancement, une configuration globale : nommer et accumuler les propriétés, les classifier dans des dimensions sémantiques, identifier le résultat en termes de modèle, aboutir à un schéma unique ou se rapportant à un genre.

Dans toute théorie des mondes possibles, il existe trois éléments : les individus, le temps et le monde. Margolin parle de l’évolution temporelle du personnage, les person-stage, et détermine trois variétés : a) 1 entité singulière suivie selon une série d’états; b) plusieurs personnalités, souvent deux (Dr Jekyll et M. Hyde) sont suivies dans une conjonction d’états; c) plusieurs entités conjointes changent dans le temps (romans postmodernes, « endless process of becoming ») En ce qui concerne le monde, le critique s’intéresse aux transworld inds, dont le statut d’itinérant font ressortir les question d’identité et de similarité des individus à travers leurs déplacements.

Sur l’être et l’agir du personnage romanesque

La théorie des mondes possibles a tendance à réduire la question du personnage à la comparaison réel/fictif (statut ontologique, référence, nom propre, etc.) Margolin l’évoque, bien entendu, mais la dépasse, en adoptant un point de vue identitaire. On remarquera que ce qui constitue le personnage n’a que peu à voir avec ce qu’il fait; il est dissociable de la structure de l’action.

MARGOLIN, Uri, « Individuals in Narrative Worlds. An Ontological Perspective », Poetics Today, 4, 1990, p. 843-871.