Erman

Objectif de la démonstration et approche privilégiée

La problématique centrale quant à la nature du personnage : est-il à l’origine des événements ou est-il engendré par ceux-ci ? En d’autres mots, a-t-il un être ou seulement un faire ? Pour Erman, le personnage est indissociable de la structure de l’action, mais il n’est pas réductible à sa fonction narrative; il a donc, aussi, un être. L’objectif du critique consiste à établir une poétique du personnage, qui s’étaye en partie sur les travaux de Philippe Hamon (le modèle sémiotique qu’il propose lie l’être et le faire, dit Erman) et sur l’identité narrative telle que formulée par Ricoeur.

Points nodaux de l’argumentation

Le critique se demande d’abord ce qu’est un personnage; une condition sine qua non du genre romanesque, comme l’ont affirmé avant lui plusieurs théoriciens. Même les nouveaux romanciers ne l’ont pas anéanti : dépouillé de toute marque descriptives (traits physiques et psychologiques) et actives, il possède une existence cognitive et émotive. C’est un sujet en situation d’existence qui appréhende et se représente le monde, même s’il se refuse à l’interpréter.

Trois grands modèles anthropologiques du personnage sont proposés : 1. Balzac, Tournier : un individu doté d’un physique, d’un statut social, d’une épaisseur psychologique. (Narration à la 1ère et 3e personne, avec variations de focalisation) 2. Joyce : le personnage n’existe que dans l’intériorité de la conscience. (Monologue intérieur, ses actions se confondent avec son discours); 3. Camus (Meursault) : Refuser précisément l’intériorité. (1ère personne, foc. interne et externe, personnage à la fois acteur et témoin) Au XXe s., la description de l’intériorité prend le pas sur l’action et à l’unité d’une psychologie se substitue l’unité d’une vision, celle parfois d’une absence ou d’une perte d’identité.

Erman s’attarde ensuite au nom du personnage, qui le désigne tout en portant un lot de connotations, ainsi qu’à ses différentes descriptions. Le personnage se caractérise par le portrait qui en est fait et par le discours, qui donne accès à son intériorité tout participant de la diégèse. Discours immédiat; monologue intérieur; procédés stylistiques qui exemplifient les pensées, émotions, passions du personnage; dialogues; discours rapporté; discours indirect, etc.

Sur l’être et l’agir du personnage romanesque

La section consacrée aux sémiologies de l’agir sert d’abord à définir l’action : agir dans le roman, c’est modifier des faits plus ou moins subordonnés les uns aux autres qui se répondent et se transforment, et cela, relativement à un individu sujet. Les raisons d’agir ne sont pas nécessairement conscientes dans l’esprit d’un personnage : il peut être l’agent d’une action, le patient qui subit ou le bénéficiaire. Soit la réalité est d’une quelconque manière affectée par l’action, soit le personnage fait l’objet d’une description le montrant en train de faire quelque chose, de subir des événements, d’éprouver des sentiments. Sans intention ni volonté, on a affaire à un fait et non une action.

Erman propose un modèle théorique pour étudier le personnage qui prend en considération l’être dans le faire : dégager des régularités psychologiques qui se manifestent implicitement dans les descriptions (portrait et discours ont une large part dans une configuration qui traite en osmose personnage et événement); supposer les actions solidaires de la personnalité, laquelle donne au faire sa configuration particulière. Il distingue trois catégories anthropologiques selon que l’on observe le personnage comme un individu (parmi une collectivité), une personne (l’être doté de caractéristiques) ou comme un égo (une conscience en mouvement, qui repose sur des dominantes de la personnalité : hystérique, narcissique, paranoïaque, schizoïde).

L’identité narrative d’un personnage (ipséité, Ricoeur) repose sur la mise en intrigue et la configuration narrative qui en découle. Erman distingue l’identité permanente de identité narrative, laquelle se construit sur le changement et la durée dans le rapport que le personnage entretient, en premier lieu, avec lui-même.

Notons au final que selon Erman, la littérature contemporaine fait évoluer des personnages sans qualités, livrés à leur égo et plus ou moins coupés du monde; leur qualité d’individu est en cause, si bien que leur identité narrative reste confuse. Ce serait donc la personnalité schizoïde qui affecterait particulièrement ces personnages, décalés par rapport au réel et chez qui l’intériorité prédomine.

Michel Erman, Poétique du personnage de roman, Paris, Ellipses, coll. « Thèmes & études », 2006, 143 p.