Hayman

David Hayman, Re-Forming the Narrative. Towards a Mechanics of Modernist Fiction, London, Cornell University Press, 1987, 211p.

Objet de la démonstration

L’ouvrage se donne pour mandat d’examiner les techniques narratives qui ont caractérisé l’émergence de la littérature moderne. Chacun des 5 chapitres est consacré à une technique différente, laquelle est isolée et doublement explorée : une première fois dans une optique historique, grâce à l’observation de ses antécédents et de ses précurseurs littéraires, et une seconde fois dans une optique plus narratologique, c’est-à-dire selon une étude approfondie de ses applications, de ses effets sur la construction et la lecture du récit. Le premier chapitre traite de la double distanciation, laquelle refuse de séparer le lecteur du monde en tant qu’expérience sans assurer la réalité du monde du texte. Le second chapitre se penche sur l’impossibilité, dans la fiction, de parvenir à une objectivité totale du narrateur; il s’agit en fait de l’étude de ces ouvrages où la crédibilité du narrateur est constamment remise en question. Le troisième chapitre traite de la nodalité, un concept servant à expliquer ces fictions apparemment dénuées de fil conducteur et dans lesquelles le sens du discours narratif se construit grâce à des accumulations, des réseaux, des répétitions, des échos et des permutations, lesquels forment des patterns de signes que le lecteur devenu artiste se doit de déchiffrer. Le quatrième chapitre examine le concept d’auto-génération, c’est-à-dire les textes dont l’objet est la dramatisation, l’exposition, de leur propre production, et où chaque fragment narratif dérive de l’unité langagière qui le précède. Ce concept implique donc que la psyché du texte est plus importante que la psyché de l’auteur. Le dernier chapitre traite des paratactiques, c’est-à-dire de ces manières de créer, dans la fiction, des disjonctions formelles et conceptuelles aptes à développer et à condenser dans le récit une foule de sujets et de thèmes qu’une narration linéaire n’aurait pu qu’esquisser.

Définitions du récit et de la narrativité

Il n’y a pas dans cet ouvrage de définition explicite du récit ou de la narrativité, étant donné que le sujet d’étude n’est pas le récit en lui-même, mais bien quelques-unes des techniques narratives qu’il a pu mettre en place à l’époque moderne. Cependant, il est possible de déduire, à partir de certaines remarques, de certains arguments, la définition que donne Hayman du récit et de la narrativité. L’auteur avance notamment que les techniques narratives modernes déconcertent le lecteur grâce à leurs manipulations des agencements représentatifs. On peut donc en déduire que la narrativité est la logique, l’intention qui opère cette manipulation des agencements – grâce aux différentes techniques étudiées dans l’ouvrage – et que le récit est le lieu, l’espace dans lequel ces manipulations, ces transformations, se manifestent.

Autre thème important

J’en profite pour souligner que le rôle des techniques narratives étudiées dans l’ouvrage consiste, selon les dires de l’auteur, à créer de nouvelles expressions narratives et à étoffer les manifestations de la différence. À première vue, cette quête de la différence s’accommode mal de la fonction mimétique du récit, étant donné qu’elle lui confère un rôle non pas axé sur la représentation et l’imitation, mais sur l’expression constante de la différence. Cependant, Hayman prend bien soin de souligner que cet apparent rejet de la mimésis traditionnelle par le récit moderne « dissimule une impulsion mimétique profonde, […] une autre sorte de mimésis. » (p.5, ma traduction) De quelle nature est cette « autre sorte de mimésis »? Quel est son rôle, son fonctionnement? Il ne nous est permis ici que d’esquisser quelques conjectures, quelques hypothèses, étant donnée que l’auteur lui-même semble réticent à s’avancer sur ce terrain inconnu. Ricoeur, dans les débuts du second tome de Temps et Récit 2. La configuration du temps dans le récit de fiction (p.18-19), parle du roman moderne en affirmant qu’il s’agit de la forme littéraire qui conteste le plus la mimésis traditionnelle à cause notamment de nouvelles formes comme le courant de conscience, par exemple. Par contre, Ricoeur souligne que « la sphère délimitée par le concept de mimésis […] s’étend jusqu’où s’étend la capacité du récit à rendre son objet par des stratégies narratives » (p.22). On pourrait donc affirmer que le rôle des techniques narratives étudiées par Hayman contribue, en plus d’être un facteur de différence, à élargir les frontières de la mimésis.

Fonction du récit

À la lumière de ces quelques déductions, je serais peut-être en mesure d’esquisser une hypothèse quant à la fonction du récit chez Hayman. Comme je le mentionnais un peu plus haut, certains éléments peuvent nous mener à croire que le récit est en quelque sorte le lieu au sein duquel se manifeste l’acte narratif, lequel est dirigé par une logique de la narrativité, logique responsable des différents choix, des différentes techniques narratives utilisées.