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Ce que le personnage contemporain dit à la critique

Un ouvrage collectif, reprenant certaines des communications du colloque tenu en juin 2016 et incluant des textes inédits, est paru aux Presses de la Sorbonne nouvelle : Ce que le personnage contemporain dit à la critique (sous la direction de René Audet et Nicolas Xanthos, collection Fiction/Non fiction XXI, 2019).

ISBN : 978-2-37906-015-1, 213 p.

La théorisation actuelle du personnage de fiction demeure tributaire, pour l’essentiel, de présupposés structuralistes qui ont conduit à le concevoir comme un être de papier et d’action, et comme partie d’un système. Assurément opératoire sur un vaste corpus, cette manière de penser le personnage n’en est pas moins débordée par les usages fictionnels contemporains, qui ambitionnent de documenter le fait humain tous azimuts.

Dès lors, un geste d’ouverture et d’ajustement théoriques s’impose pour saisir ces nouveaux usages et leurs implications. Les études réunies dans le présent ouvrage participent ainsi de trois perspectives : poétique, pragmatique et culturelle. Attentives à leurs objets propres comme aux enjeux conceptuels qui les traversent, elles donnent à voir la singularité des nouveaux possibles des œuvres (littéraires, cinématographiques ou numériques), et contribuent à la nécessaire historicisation des théories du personnage.

Table :

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION
René Audet et Nicolas Xanthos

DE NOUVELLES CONFIGURATIONS POUR REPRÉSENTER L’HUMAIN
(une perspective poétique sur le personnage dans la fiction contemporaine)

René Audet
Un personnage, s’il le faut. Splendeurs et misères de la pantomime romanesque contemporaine

Tara Collington
De la polyphonie à la narratologie cognitive : la construction du personnage dans l’univers romanesque d’Hélène Lenoir

Frank Wagner
Entre péremption et préemption : aspects du personnage contemporain

Nicolas Xanthos
Y a de la joie, un suicide et des espions. Psychologie du personnage dans L’Adieu à Stefan Zweig de Belinda Cannone

Marie-Hélène Voyer
« Il faut avoir la politesse d’être heureux ». Formes et paradoxes de la discrétion du personnage chez Nicolas Bouyssi

REFIGURER L’HUMAIN, ENTRE ÉCRITURE ET LECTURE
(une perspective pragmatique sur le personnage dans la fiction contemporaine)

Emmanuel Bouju
Le credit crunch de la démocratie. Personnage de fiction et idole de papier mâché (dans Résister ne sert à rien
de Walter Siti)

Bertrand Gervais
Chet Baker est une figure. Personnages conceptuels et fiction critique chez Enrique Vila-Matas

Fanny Barnabé, Julie Delbouille et Björn-Olav Dozo
Immersion et réflexivité. L’avatar au cœur de la construction de la posture vidéoludique

Sophie Beauparlant
Personnages du web : sortir de l’écran pour exister

LE PERSONNAGE COMME INTERFACE DES FORMES DE VIE
(une perspective culturelle sur le personnage dans la fiction contemporaine)

Charline Pluvinet
Identité troublée du personnage : permanence et rupture dans les narrations fictionnelles de soi

Bruno Blanckeman
Mutatis mutandis. Le personnage littéraire à l’épreuve du vivant

Anne Martine Parent
Dans la peau d’un chien. L’animal au secours de l’humain dans Ladivine de Marie NDiaye

Julie Beaulieu
Lorsque les Hubots et Ava se rebellent… Le personnage-cyborg féminin du petit et du grand écran

BIBLIOGRAPHIE

Corpus
Références critiques
Ludographie
Médiagraphie

Le sentiment un peu flou de sa propre déconnexion

Si bon nombre de personnages contemporains ont l’impression de ne plus prendre part au monde qui les entoure, rares sont ceux qui parviennent à exprimer clairement leur étrange sentiment de déconnexion qui, la plupart du temps, ne trouve d’ailleurs aucun fondement.

Dans son roman Dehors, Éric Laurent nous présente le personnage de Léon Brumaire, un homme de trente-trois ans au chômage, mis à la porte de chez lui. Dépourvu de toute intention quant à son avenir lointain ou immédiat, Léon tente néanmoins de trouver les bons mots pour décrire son état :

« Je ne sais pas c’est un peu flou comme impression un peu nouveau aussi mais il me semble que ces derniers temps ma vie tout entière est devenue sabbatique c’est comme si je m’étais mis en vacance du monde et le plus terrible c’est qu’il n’est pas un seul domaine qui ne soit peu ou prou touché par ce désinvestissement général » (p. 27).

« Vie sabbatique », « vacance du monde », « désinvestissement général » : trois expressions qui illustrent bien ce sentiment un peu flou de déconnexion.

Éric Laurent, Dehors, Paris, Minuit, 2000.

 

Personnages pluriels

Comment raconter la collectivité, donner une voix à la pluralité? Deux romans récemment parus réussissent ce pari avec brio. Avec Cent seize Chinois et quelques (Seuil, 2010, 127 pages), Thomas Heams-Ogus  parvient à l’aide d’un « on » impersonnel à rendre sensible au lecteur la dépossession d’eux-mêmes dont ont été victimes les Chinois d’Italie envoyés aux camps entre 1941 et 1943. Privés de nom par l’Histoire, ils ne retrouveront le leur qu’à la toute fin du livre.

Chez Julie Otsuka, c’est le « nous » qui s’exprime à la place de ces Japonaises venues épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’avaient vu qu’en photo. La désillusion, la misère des travaux aux champs, l’ostracisme par ces Blancs dont souvent elles ne parlent pas la langue, l’enfermement durant la Seconde guerre mondiale, tout cela est narré par ce « nous » qui se fait tantôt général, tantôt spécifique.

Certaines n’avaient jamais vu la mer (Phébus, 2012, 142 pages, Fémina étranger) et Cent seize Chinois et quelques proposent une autre définition du personnage, près du chœur, où la dépossession est aussi poétique.

(Je ne peux m’empêcher de souligner : quels titres!)